Saturday, November 1, 2008

Les sanglots longs
Des violons
De l'automne
Blessent mon coeur
D'une langueur
Monotone.

Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l'heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure

Et je m'en vais
Au vent mauvais
Qui m'emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte.



INTRODUCTION

Comme tant d’écrivains et de poètes du XVIIIe S, Verlaine s’est laissé inspirer par le charme mélancolique de l’automne. Mais il traite ce thème, à sa manière musicale et harmonieuse tout en nuance et en accent léger. La douceur des sonorités, la fluidité d’un rythme varié, n’exclut cependant ni les regrets, ni la souffrance physique et morale ni la conscience d’une errance douloureuse et passive. Le poète et l’homme se révèlent avec sincérité et spontanéité dans ces quelques vers qui sonnent comme nue complainte nostalgique.
Liées par le thème de la souffrance et de l’errance, et marquée par une progression que souligne le " et " du v.13, les 3 strophes ont cependant une autonomie :
– La première évoque explicitement l’automne à travers une correspondance entre une sonorité et une douleur.
– La deuxième souligne la tentation de la mémoire et des souvenirs comme remèdes à la fuite du temps.
– La troisième conclut sur l’impuissance du poète dont la destinée est aussi fragile que celle des feuilles automnales.

On pourra analyser successivement :
I. 1re Strophe
II. 2ème Strophe
III. 3ème Strophe


I. Première Strophe

On remarque qu’elle est construite sur des sonorités(tone) sourdes(deaf) adoucies par de nombreuses liquides (" l ", " m ", " n ") sans articulations (pronunciation)fortes. Le seul verbe de la strophe (" blesse " v.4) qui appartient au champ lexical(relating to words) de la douleur, établit une correspondance entre la saison et la sensibilité du poète.
 La saison : Elle est exprimée sous la forme d’un complément déterminatif (" de l’automne "). Le noyau(centre) du groupe nominal(small) est donc le mot " sanglots "(sob= to cry noisily,taking in deep breaths) qui oriente immédiatement le texte vers une sonorité triste. Il faut 3 vers bref (4,4,3) indissous par la structure syntaxique(grammatical) et très proche par leurs sonorités pour préciser(clarify / specify) à la fois leur sujet grammatical et le thème du poème.
 La sensibilité du poète : Elle est double (physique et affective) comme le souligne la répartition des mots " blesse ", " cœur ", " longueur "(length), " monotone "(a sound which stays on the same note) qui s’appliquent à la fois au domaine affectif et au domaine physique. La rime(rhyme) " automne ", " monotone " qui apparaît chez Baudelaire (dans chant d’automne) souligne la caractéristique de cette strophe, douceur douloureuse(painful). Lenteur(slowness), harmonie, due aux répétitions (allitérations) et à l’absence de ponctuation.

II. Deuxième Strophe
On note le changement de ton et l’absence apparente de lien(link/relation) logique. Les articulations sont plus nettes (présence d’occlusives : b, d, p, t, g, q, k). Le rythme est très nettement(clearly) syncopé{z(of a tune)having a rhythm in which strong notes are not on the beat} dans les vers 7 et 8. La ponctuation du v.9 semble couper la strophe 2 ; bien que la continuité soit établie à la fois par la rime en "eure" et par la construction syntaxique (subordonnée de temps et principale).
 1re Partie : Le poète analyse ses réactions physiques, au moment d’une prise de conscience du temps (" heure ", v.9). On peut voir là, sans certitude cependant, tout Verlaine aime à rester flou(hazy/vague) une allusion(something that is said or written that intentionally makes you think of a particular thing or person) à la mort (la dernière heure : " Quand sonne l’heure "). Les réactions décrites(décrire = to describe) sont proches de l’asphyxie (" suffocant ", " blême "(deathly pale), v.7-8). Le rythme des structures (7,4) et non plus (4,4,3) peut évoquer une lutte désespérée pour survivre(survive).
 2ème Partie : Elle est rendue(has arrived) plus musicale et plus harmonieuse par la répétitions de certaines sonorités. Le poète fait allusion au passé, peut-être heureux (jours anciens v.11) comme remède(remedy = to correct or improve) à la conscience(consciousness) douloureuse de la fuite(escape or runaway) du temps. La strophe se termine sur l’aveu(permission or aggrement) simple et touchant du chagrin(sorrow) (" et je pleure " v.12). Regret, nostalgie(nostalgia = a feeling of pleasure and sometimes slight sadness at the same time as you think about things that happened in the past), sentiment de la propre impuissance(faiblesse) comme souvent Verlaine laisse la réponse dans l’incertitude.

III. Troisième Strophe
 Un phénomène d’écho apparaît dans la reprise(réutilisation) du " et " et semble souligner à la fois une simple constatation(observation) et la conséquence de l’impuissance suggérée dans la strophe 2.
 L’absence de remède et de forces à la fois physique et affective conduisent le poète à une passivité(state of not acting to change a situation) qu'exprime bien la comparaison avec la feuille livrée(hand over) au vent.
 La strophe est construite sur l’idée de dispersion(breaking up), de discontinuité. La première partie résonne de rimes internes et de sonorités très proches (" vais ", " mauvais ", " en ", " vent ") et qui crée une confusion sonore évocatrice de la confusion et du désordre qui caractérise le comportement du poète. L’allusion au vent rappelle l’automne et annonce(announcement) la comparaison avec la feuille. Celle-ci souligne(emphasize) bien la passivité physique et la faiblesse morale d’un être qui se laisse aller et subit(to suffer/ to go through) toutes les influences.
 Les 3 derniers vers soulignent avec l’alternance manquée(missed/failed) par les adverbes de lieu (deçà, delà) et la dissociation métrique syntaxe (pareil à la). L’idée d’une dispersion et le mouvement incontrôlé de celui qui s’abandonne avec passivité à son destin.

Conclusion
Sur un thème pourtant rebattu : l’automne et la sensation de tristesse qui l’accompagne, Verlaine compose une chanson d’une extraordinaire nouveauté par sa facture métrique te syntaxique.

Plan de commentaire

I-De la musique avant toute chose
- Un rythme propre à la chanson
Le rythme 4/4/3 qui sous-tend tout le poème fait sa spécificité et son originalité. Les vers courts sont rares en poésie. En recourant au vers court, Verlaine fait resurgir un rythme que l'inconscient reconnaît comme une chanson " Au clair de la lune/Mon ami Pierrot (5/5) ".
- Une recherche de sonorités
Aux sonorités sourdes adoucies de nombreuses liquides " l ", " m ", " n ", de la première strophe
- Un vocabulaire musical
Les violons au 2ème vers rappellent qu'il s'agit d'une chanson. Par delà la musicalité des mots, le vocabulaire est simple, sans artifice comme celui d'une chanson populaire.
II- Un poème emblématique
- La mélancolie
C'est l'automne qui sert de prétexte à la mélancolie du poète et tisse un lien étroit entre le paysage et l'âme du poète. Le paysage extérieur (l'automne) et le paysage intérieur (l'âme) finiront par se rejoindre au dernier vers, " Pareil à la feuille morte ". La fusion est consommée.
- La fatalité
La dernière strophe est marquée par la disparition progressive du poète. Le " je " du vers 13 qui commande l'action s'efface au vers 15 " qui m'emporte ". Le poète se dissout dans le paysage pour ne faire plus qu'un avec lui et disparaître sans bruit dans le souffle ultime du e muet " feuille mort(e) ". Mais le départ du narrateur ne résulte pas d'une décision volontaire, mais d'une volonté supérieure à laquelle il se soumet. " Je m'en vais " ne signifie pas " je pars " mais " je me laisse aller " où le vent me mène, je me laisse porter par le courant, " le vent mauvais " qui m'emporte. La fatalité est un thème cher à Verlaine qui a toujours l'impression d'être gouverné par une mauvaise planète, Saturne, qui ne lui laisse aucune trêve et l'empêche d'être heureux. " deçà, delà " peuvent donc apparaître comme les images zigzagantes d'un homme ivre pour qui la boisson est hélas la fatalité.
- La fuite en avant
La 2ème strophe souligne la tentation de la mémoire et des souvenirs comme remède à la fuite du temps.
III- Le paysage verlainien
Chanson d'automne est un poème en demi-teintes, tel que les affectionnait Verlaine ou l'éphémère côtoie l'indéfini, où les contours se diluent dans la brume des larmes et où le paysage s'efface pour envoyer le reflet torturé d'une conscience tourmentée et indécise.
- L'impressionnisme
L'automne est ici dépeinte par l'impression qu'elle dégage plutôt que par la réalités des couleurs de la nature en cette saison. Chanson d'automne suggère le paysage plus qu'il ne le décrit, esquisse plus qu'il ne peint. Chanson d'automne est un poème de la sensation, du non-dit, de l'inexprimable.
- Le paysage est un état d'âme
L'automne devient un paysage et un lien s'établit entre la saison qui précède la fin de l'année et ce qui prélude à la fin d'une vie. Ce n'est pas l'automne avec ses connotations positives de récoltes et de flamboiement de la nature mais une fin mélancolique, angoissante comme une mort.
- La rime : le miroir des sensations
Le poème se compose de trois strophes de six vers selon une combinaison de rimes appelée rythmus tripertitus, la même rime se répétant après un groupe de deux vers. Toute la subtilité du poème réside dans ce côté répétitif de ce vers de trois syllabes dont l'isolement reflète l'incertitude du poète, son angoisse et sa solitude. C'est une musique trébuchante, une mélodie de fausses notes où la plainte se fait peu à peu silence.

CONCLUSION

On retrouve dans chanson d'automne le thème du poète incompris , confronté à un sort qui lui est contraire et ballotté dans un monde qui lui est hostile. Verlaine se cache ici derrière une saison pour nous donner le reflet de son état d'âme.